Homme libre toujours tu chériras la flotte. En ta prime enfance, pourtant, les étendues d’eau t’inclinaient plutôt à la tachycardie, au grand dam de ton géniteur ; il faut dire que ton jeune temps ne fut pas exactement celui de ta liberté, loin s’en faut : ceci explique cela, et réciproquement. D’ailleurs, beaucoup de choses suffisent à en expliquer beaucoup d’autres, trouves-tu : la fumée et le feu, les cyclones et les battements d’ailes des papillons, les fils et les pères ; entre autres.
Les plus lointains souvenirs d’aquaphobie dont ta cervelle ait conservé la trace sont bleus de ce bleu lâche et fade dont s’emplissent les piscines chlorées de province ; tu dis : « de province » parce que tu n’as jamais fréquenté celles de la capitale, dont tu aimes à imaginer qu’elles reproduisent avec davantage de fidélité que les autres le bleu officiel des piscines homologuées par le Comité International Olympique. Tes réticences à exercer ici tes talents de nageur tiennent à deux choses à la fois : ce besoin que tu as de mettre ton passé sous verre et de lui attribuer en conséquence une mauvaise coloration à la David Hamilton, et : le jour où ton cheval de père eut l’idée de t’apprendre à nager « à sa manière ». Il avait dit : « Poule mouillée pour poule mouillée... », ce dont le sens t’avait échappé, avant de te précipiter d’une large et sonore claque dans le dos vers la grande aventure de la tasse ; étrangement, tes ébats avec mademoiselle H2O finirent par ressembler à quelque chose ; tu gardes encore aujourd’hui à l’idée que ce qui t’a sauvé, ce qui t’a poussé à exécuter les mouvements naturels attendus, c’est l’habitude qu’avait ta maman de t’appeler “ma petite grenouille”, trempant ainsi tout ton être dans le Styx des nageurs de brasse. Tes souvenirs te sont un sérieux lest.