Son père né entre Save et Drave avait applaudi les événements de Kolwezi et admirait sérieusement Bob Dénard. Son père né entre Save et Drave était fait d’un étrange bois (et cette étrangeté là, donc, se transmet) ; il avait vécu et péri comme tout cheval de course ; vécu au rythme lumineux de son galop, achevé dans l’ombre ; équarri par la douleur. Ce père-là n’avait pas été un père ; il avait mis son sperme là, dans le ventre de l’épouse, avait attendu, s’était lassé de ne point voir le ventre s’arrondir immédiatement, était parti, revenu six mois et demi plus tard, sans que jamais il n’ait été question de raconter quelles aventures avaient peuplé cet intervalle (et puis de toute façon tout le monde savait bien qu’il avait passé le plus clair de son temps à verser sa semence entre d’autres cuisses, fabriquant à Judas en son acharnement de fornicateur des dizaines, des centaines de demi-frères, tous de la même eau ; pas de demi-sœurs, hein, rien que des petits garçons dont faire de bons soldats ; Miroslav n’était pas du genre à faire pousser des filles, du moins c’est ce qu’il disait ; raison pour laquelle, revenu, vingt-et-un jours avant le terme prévu, un soir de pleine lune, et, ayant procuré par ce seul fait tant d’émotion à l’engrossée qu’elle dut accoucher dans la nuit, le père embrassa à pleine bouche l’infirmière venue lui annoncer que la maman et son petit garçon de trois kilos quatre cent cinquante pour cinquante centimètres pile se portaient bien ; la légende veut que la dite infirmière soit devenue rapidement la maîtresse habituelle de Miroslav, soit dit en passant, un moutard, ça se fête), et puis Miroslav-le-cheval avait élevé ensuite avec plus ou moins d’attention selon sa très variable et imprévisible humeur son petit amour de Judas. C’était du moins la version édulcorée qu’avait reconstituée Judas sur la triple base : primo, des sanglots de sa mère lorsque Judas lui demandait pourquoi aucune petite sœur ne lui avait été donnée, secundo, de la relation épisodique entretenue, jusqu’à la puberté de Judas environ, par Miroslav avec une sage-femme jadis révoquée pour d’obscures raisons, et tertio, des petits secrets de famille dont nous finirons bien par démêler l’écheveau avant la fin de ce satané livre.